Le palais idéal du facteur cheval, monument aussi insolite que poétique

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Au milieu de la paisible commune de Hauterives, dans la Drôme, se dresse un bien curieux monument. Imaginé et bâti par le facteur cheval, ce « palais idéal » mêle les influences architecturales et les époques pour un résultat aussi baroque qu’époustouflant.

Poussez les portes du palais idéal bâti par Ferdinand Cheval, facteur inspiré et obstiné qui s’improvisa architecte pour réaliser son rêve.

Ferdinand Cheval, le facteur devenu architecte

Ferdinand Cheval naît en 1836 dans la Drôme, au sein d’une famille de petits cultivateurs. De sa courte scolarité, entre 6 et 12 ans, il tirera une maîtrise approximative du français à l’écrit, qui lui permettra tout de même d’obtenir son certificat d’études primaires. Devenu apprenti boulanger à l’âge de 13 ans, il laisse à son frère la ferme familiale et part exercer à Valence, puis à Chasselay.

Il abandonne son métier à la naissance de son fils pour devenir ouvrier agricole ; la misère dans laquelle ils vivent le pousse à délaisser ce métier et à se présenter au concours de facteur, qu’il passe avec succès. Affecté à Anneyron, à Peyrins, puis à Bourg-de-Péage, il sera finalement rattaché à Hauterives, où il restera jusqu’à sa retraite.

Durant sa longue tournée à pied de 33 km, il commence à imaginer un « palais féérique » et grandiose, probablement inspiré des photos exotiques imprimées sur les cartes postales et magazines qu’il colporte. Ses rêveries sommeillent dans son esprit jusqu’à ce jour d’avril 1879 où il bute sur une pierre à la forme insolite : ce sera la première pierre du palais du facteur Cheval. Le lendemain, de nouvelles pierres aux formes tout aussi singulières retiennent son attention et finiront de le convaincre. « Puisque la Nature veut faire la sculpture, moi je ferai la maçonnerie et l’architecture », rapporte-t-il dans ses cahiers. La construction peut commencer.

Un palais idéal et complètement inclassable

Ferdinand Cheval devient aux yeux de ses voisins un « pauvre fou », repérant des pierres pendant sa tournée quotidienne et venant les récupérer le soir avec sa brouette pour les stocker dans son jardin. Lancée en 1879, la construction du palais idéal se poursuit après sa retraite en 1896 et ne s’achèvera qu’en 1912, soit 33 ans après son commencement.

Sans véritable notion d’architecture, de maçonnerie ni de construction, le facteur érigera son palais rêvé de 12 m de haut pour 26 m de long à la force de son courage et de son obstination. Le résultat, véritable hymne à la nature, mélange les styles architecturaux et les inspirations, passant de la Bible à la mythologie égyptienne et hindoue, en passant par des influences arabes et incas.

Les vingt premières années de la construction du palais du facteur Cheval seront consacrées à la construction de la façade est, vouée à la nature. Grottes, alcôves, cascades d’eau se marient dans un enchevêtrement de roches ciselées avec minutie. La façade ouest, moins organique, se démarque par des formes plus rigoureuses et des miniatures de monuments du monde entier. On peut notamment reconnaître un temple hindou, une mosquée, un chalet suisse, un château médiéval ou encore la Maison carrée d’Alger. À l’étage supérieur, une terrasse presque aussi longue que le palais est accessible par un escalier.

Sur la façade nord, les cerfs, pélicans et autres crocodiles prennent vie à partir de la pierre et peuplent le palais improbable dans un amoncellement de colonnes dépareillées et savamment taillées. La partie sud, plus sage, est un hommage aux temps anciens avec un musée antédiluvien. Le palais est gardé par trois géants, représentant Archimède, Vercingétorix et César.

Ferdinand Cheval, artiste malgré lui

En donnant vie à son palais idéal, le facteur Cheval s’est érigé en artiste hors normes, rêveur décalé et ne répondant à aucun code. Unique au monde, cette construction inspire les artistes depuis plus d’un siècle et força l’admiration des surréalistes, par son indépendance et son « anarchisme » artistique.

Le palais reçoit le soutien d’artistes renommés comme Pablo Picasso et André Breton, tandis que Max Ernst lui dédiera l’un de ses tableaux. Reconnu comme une œuvre d’art brut, le palais fut classé Monument historique en 1969 par André Malraux, ministre de la Culture de l’époque, en tant qu’œuvre appartenant à l’art naïf. Un choix qui ne fit pas l’unanimité au sein du ministère, puisque le tout fut à l’époque qualifié « d’absolument hideux (…) affligeant ramassis d’insanités qui se brouillaient dans une cervelle de rustre ». Malraux y voit au contraire un exemple unique au monde d’architecture naïve à reconnaître et à protéger.

Œuvre absurde et sans harmonie ou chef-d’œuvre de minutie et de poésie : le palais fait toujours débat. À vous de vous faire votre avis…

Crédits : Marine69/CC BY-SA 3.0